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Anne Dussap-Köhler, OFAJ / DFJW, 2002
« L’école primaire en France et en Allemagne :
quelles valeurs ? Regards croisés »
Sommaire

 
 
Regards croisés d’instituteurs

Que l’enseignant soit français ou allemand, les premiers « dépaysements » se recoupent d’un témoignage à l’autre, à tel point que l’on peut dégager des portraits-type. Sans doute trouverez-vous ces portraits exagérés. Ils ne sont que le reflet de la perception de l’enseignant, qui changeant de système, va porter un regard extérieur conditionné par son système scolaire et culturel de référence.


P o r t r a i t s - t y p e s

L’élève français à l’école primaire (vu par les enseignants allemands) : il a classe toute la journée (de 8h30 à 16h30 avec une interruption de 1h30 pour le déjeuner) et ce généralement dès l’âge de 3 ans puisqu’il est allé à l’école maternelle. Il devrait être super-intelligent depuis le temps qu’il est à l’école ! En fait, il fait preuve d’assez peu d’initiatives personnelles, peut-être parce qu’il n’a pas eu beaucoup l’occasion de jouer ou de développer lui-même sa créativité : à part les grandes vacances (2 mois pendant l’été, qui constituent une rupture totale avec l’année scolaire), il est pris dans un système où tous ses apprentissages sont guidés, orientés et construits par le maître. Il est très discipliné, se met en rang à la sonnerie, monte en ordre rangé (deux par deux) jusqu’à la classe, attend devant la porte que le maître dise « avancez », entre dans la classe et s’installe calmement. Pendant le rituel du « qui mange à la cantine »
2), il lui reste encore quelques minutes pour papoter en chuchotant sagement avec son voisin, puis c’est le calme et il se concentre sur le cours. Il a beaucoup de respect pour le maître : il se soumet volontiers à ses exigences et à son autorité; en dehors de la classe, dans la cour ou même en ville, il reste respectueux et poli vis-à-vis de son maître. Il est anxieux et désireux de ramener des bonnes notes à la maison. Il apprend ses leçons par cœur, même s’il n’en a pas compris la globalité ou qu’il n’a pas assimilé le sens de ce qu’il a appris.


L’élève allemand (vu par les enseignants français) : c’est l’enfant-roi. Il est bruyant, indiscipliné, autonome, spontané, insolent, il s’exprime librement, a du mal à rester attentif. Il arrive dans la salle de classe comme une tornade, commence à se bagarrer avec ses camarades. L’arrivée du professeur n’interrompt généralement pas les bagarres. Il faudra que celui-ci fasse preuve de doigté et de psychologie et trouve une raison convaincante pour commencer le cours. Le cours commencé, l’élève pourra enfin sortir son « Butterbrot »
3) puis, laissant le professeur s’évertuer à continuer le cours, il ira emprunter le cahier d’un copain à l’autre bout de la classe. Il n’hésitera pas à manifester haut et fort son désaccord ; l’enseignant devra alors orchestrer un débat fructueux (ou non) et formateur amenant à une décision commune et recentrant l’ensemble des élèves autour d’une nouvelle activité.

L’enseignant français (dépeint par les enseignants allemands): c’est un fonctionnaire de l’Etat. Sa position de « maître » lui confère une certaine autorité. Il est sévère et sait faire régner la discipline ; il demande généralement beaucoup aux enfants. Comme le notait un enseignant allemand, il n’est pas du tout « maternel » avec les enfants, même petits ; au contraire, il a une relation distante … et pourtant amicale. Il semble qu’il n’ait aucune considération pour les élèves en tant qu’individus mais il est finalement très attentif aux enfants. Il doit enseigner toutes les matières, même s’il n’est pas compétent pour certaines d’entre elles. Il n’y a pas de réunions où l’on puisse discuter de pédagogie et peu d’échange de pratiques professionnelles. En revanche, il a beaucoup de travail administratif dès qu’une activité sort du cadre scolaire habituel (formulaires administratifs, permissions à demander, etc.).

L’enseignant allemand (dépeint par les enseignants français): Il est stressé par le temps et la matinée de classe (de 7h50 à 13h) lui laisse à peine le temps de faire tout le programme prévu. Il est très patient et doit négocier sans cesse avec les élèves et les parents (contenus ou organisation des cours, travail, etc.). Il n’élève jamais la voix et entretient convivialité et relation de confiance avec les élèves, il est à l’écoute des besoins et des exigences de chacun. Le professeur est un adulte comme un autre et ne bénéficie pas d’un statut à part au yeux de l’élève. S’il veut être respecté en tant qu’enseignant, il faut qu’il prouve son aptitude à intéresser, motiver, gérer un groupe, former, écouter, accompagner dans les apprentissages, conseiller. Dans son sac, il a toujours un certain nombre de jeux qui pourront «faire passer» des apprentissages plus difficiles mais indispensables. Les échanges de pratiques pédagogiques entre collègues sont assez courantes. Après avoir longuement négocié avec les élèves leur participation au cours, il devra de surcroît faire face aux parents qui exigent un droit de regard sur le travail de l’enseignant et ses approches pédagogiques. Il ne lui reste donc plus qu’à préparer des réunions pédagogiques qui permettront de développer une relation éducative avec les parents.

L’école allemande :
L’école est spacieuse, claire, moquettée. Des tableaux neufs à la hauteur des élèves (parce qu’ils coulissent le long du mur) sont là pour rappeler que le tableau, « un haut lieu de l’instruction », n’est pas l’apanage de l’enseignant et que le savoir se construit par et avec les élèves. Côté matériel, il n’y a pas à se plaindre : tout le matériel éducatif dont on pourrait rêver … et même plus !
La cour est vaste, les enfants sont libres d’aller où ils veulent ; pendant les pauses, ils peuvent même entrer et sortir des bâtiments et de l’enceinte de l’école, notamment pour aller s’acheter quelque encas au « Imbiss »
4) d’en face, annexe indissociable de l’école allemande.

L’école française :
L’enceinte de l’école est fermée en dehors des heures d’entrée et de sortie – fermée à clef, même. La cour est entourée d’un mur haut de deux mètres rendant toute « évasion » des enfants pendant la récréation impossible !
L’école est « petite », une classe par enseignant, mal ou peu équipée et pas de pièce supplémentaire pour toute autre activité. Le nombre de photocopies est strictement contrôlé. Il n’y a pas de salle de sport, pas de salle de motricité ; dans certain cas la bibliothèque est réduite au minimum… et si peu de matériel ! Chaque enseignant accumule et «bricole» au fil de ses années d’expérience ses propres outils pédagogiques. Il paraît que les écoles des quartiers socialement défavorisés sont mieux loties et ont tout ce qu’elles demandent !


Il s’agit là de caricatures. Mais, au-delà de la subjectivité du regard d’enseignants issus d’un système scolaire différent, se dessinent un certain nombre de différences fondamentales : le rapport à l’autorité, le comportement des élèves, le rôle du pédagogue ou encore la place des parents dans l’école.


Pédagogie ou Pädagogik ?

« Lorsqu’on arrive dans une école allemande, on peut avoir l’impression de recommencer tout à zéro » - « Kaum eine einzige Erfahrung wird mir hier in Frankreich etwas nützen. »
5)

La pédagogie est par définition le savoir et le savoir-faire de l’enseignant, sa spécialité. On pourrait donc croire que le métier va faciliter l’intégration professionnelle et par là, son intégration dans le pays hôte. Or, il se trouve que les cultures scolaires française et allemande sont tellement différentes l’une de l’autre qu’il est difficile de simplement transférer les pratiques pédagogiques d’un système dans l’autre. Les témoignages qui suivent donnent la mesure des différences :

La pédagogie en France
Les enseignants allemands caractérisent les approches pédagogiques françaises de « Frontalunterricht », « mehr Pädagogik in Deutschland, mehr Wisssensvermittlung in Frankreich »
6), « Peu d’autonomie, beaucoup de notes. On fait davantage de place aux reproches qu’aux compliments », « Il y a peu de place pour l’initiative personnelle » ; « der überwiegend kognitive und lehrerzentrierter Lernprozess » 7), « Beaucoup de travail après la classe ». Sous cette lumière, l’enseignement en France se réduit à une simple transmission des savoirs et la pédagogie est complètement centrée sur l’enseignant - si l’on peut encore parler de pédagogie. Il semble qu’il n’y ait pas de réflexion autour du développement de l’enfant, de sa créativité, de son initiative personnelle ou de son autonomie. En bref, c’est un enseignement qui repose plus sur des résultats quantitativement mesurables (notes) que sur des processus d’apprentissage.

La pédagogie en Allemagne
En revanche, les Français « jugent » l’enseignement outre-Rhin trop ludique, pas structuré, reposant sur peu de contenus et se rapprochant plus d’une animation de colonie de vacances
8) que d’un réel apprentissage scolaire : « une didactique à base de jeux et de chants, ce qui me fait dire tout de suite c’est la colonie de vacances », « plus de ‘Spiel und Spass’ en Allemagne mais trop de ‘Bastelei’ fait à leur place » 9), « c’est le cirque dans les classes et je me demande ce que les élèves peuvent bien apprendre dans ce bruit, dans cet enseignement sans objectifs clairs sans démarche construite. », « Le contenu des séances m’a paru réduit », « Les élèves font en 1. Klasse 10) des choses que l’on fait chez nous en maternelle », « La progression en lecture et écriture m’a semblée moins ambitieuse qu’en France ».

Le jeu des regards croisés montre la perplexité, l’incompréhension et le doute portant sur les approches pédagogiques du voisin ; à tel point qu’il faut se demander, à juste titre, si le mot « pédagogie » recouvre le même champ sémantique que « Pädagogik ». Il ne fait aucun doute que ces mots recouvrent des philosophies, des concepts et des pratiques différentes !
11)

Certes tous les enseignants ayant participé au programme d’échange n’ont pas réagi de façon aussi négative face à l’Ecole du voisin. Les témoignages rapportés ici sont volontairement choisis parmi les plus exagérés afin de montrer combien, face à la différence, la critique peut être extrême et négative allant parfois, jusqu’au refus de la différence et au déni de l’autre système. Bien loin alors d’un enrichissement, l’expérience d’échange devient alors un enfermement sur ses propres valeurs et conduit à l’intolérance.

Pour dépasser le premier constat, celui de la différence, déstabilisant et douloureux parfois, il faut essayer d’analyser les divergences et les écarts, leur origine, leurs causes et conséquences avant de pouvoir, chercher comment on peut, en tant qu’enseignant, s’inscrire en positif dans ce nouvel environnement, c’est-à-dire créer dans et avec le nouveau système.


Le rapport à l’autorité

De tous les témoignages, le rapport à l’autorité ressort comme étant la divergence la plus flagrante et la plus choquante entre les cultures scolaires.

Si à l’école, l’autorité correspond au rapport à une loi qui fixe le cadre de vie et d’apprentissage du groupe élèves-enseignants, la relation d’autorité se construit apparemment différemment dans chacune des cultures scolaires. Il est intéressant de regarder dans chaque système comment, par qui et pour qui la loi est établie, qui est garant, comment et par qui les déviances sont traitées.

Un enseignant français définit sa mission de la manière suivante : « j’exerce une fonction d’autorité sur mes élèves, fonction que je ne peux galvauder. Les élèves ne sont pas des partenaires qui peuvent négocier en connaissance de cause. C’est l’idéal républicain qui, à travers moi, impose sa loi : je sais où est l’intérêt de l’élève et je construis mon enseignement en sachant exactement où il faut conduire l’enfant. Les programmes et instructions, que je conteste à l’occasion, sont pour moi le fil conducteur, la loi. »
13). Dans le cas de la culture scolaire française, l’enseignant en tant que représentant de l’Etat fait régner la loi, établie par la République, s’appliquant à tous les citoyens et, dans le cadre scolaire, aux élèves en particulier. Il est chargé de la faire respecter, il en est le garant. La loi est dictée par l’Etat représenté à l’école par le maître.

A contrario, la relation pédagogique en Allemagne se définit comme suit : « A la base de l’éducation est le « rapport personnel entre un adulte et un être en devenir et qui parvient lui-même à sa vie et à sa forme. […] L’éducateur doit défendre le droit individuel du jeune au développement et à l’auto-réalisation contre d’autre prétentions qui ne seraient pas justifiées. Avant tout, il doit l’aider à se dégager des injonctions non justifiées de la société.[…] La relation pédagogique est un rapport d’interaction. L’éduqué, n’est pas seulement l’objet d’une intervention éducative mais il est considéré comme un sujet à qui l’on reconnaît le droit d’agir sur le rapport pédagogique. »
14). Dans la relation pédagogique à l’allemande, l’élève et l’enseignant sont partenaires pour la réalisation des potentialités de « l’éduqué » (l’élève) et le développement de son esprit critique. La loi doit être établie dans la discussion et la négociation entre les différents intéressés, c’est-à-dire entre enseignant(s) et élèves. Toute loi édictée par une autorité supérieure peut être contestée et refusée ; elle n’a pas de légitimité en soi. Dans sa mission, l’enseignant est d’ailleurs garant de la « non-obéissance aveugle » à une loi extérieure et doit amener les élèves à l’élaboration commune d’une règle valable pour la collectivité. On retrouve dans ce principe aussi la culture du « Mitentscheiden » ou participation aux décisions 15), où l’élève est non seulement consulté mais « co-décideur » des règles qui le concernent.

Bien sûr, il faut relativiser ces principes qui, dans la pratique quotidienne de la gestion de la classe, sont nuancés par la personnalité de l’enseignant, sa conception et son approche personnelle de l’autorité. Et, s’il est vrai, qu’en France, les conseils d’Ecole tendent à se développer pour instaurer une participation plus grande des élèves dans la réglementation de la vie scolaire, il n’en reste pas moins que, d’une manière générale, la discipline dans les écoles françaises est nettement plus stricte qu’en Allemagne. Derrière ce constat se cachent des principes ou philosophies du rapport éducatif profondément différents, voire en opposition.

 
 

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